Le perfectionnisme, un défaut et un trait de caractère : quel est son rapport avec l’autisme ?
Je me suis donnée comme mandat d’écrire un article pour Perceptions Autistes tous les vendredis, je suis une personne très occupée, maman, épouse, étudiante, travailleuse autonome, bénévole etc. Lorsqu’il y a le phénomène de la page blanche, j’avoue je puise dans les éléments récents des réseaux sociaux qui m’ont amenée à réagir au courant de la semaine. C’est ce que je vais faire aujourd’hui, en faisant de mon mieux !

Ce matin sur LinkedIn sur la page de l’Optimiste.com [1] il y avait cette image.
Elle a amené son lot de personnes perfectionnistes à faire des commentaires sur le fait que notablement ce serait une justification à la sous-performance, au manque de capacités et à la procrastination.
Je n’étais pas en accord avec cette conclusion. Ensuite, je me suis demandé comme personne autiste, quel était mon rapport à la pression de la performance. Il faut savoir que j’ai par le passé été une personne ultra-perfectionniste, j’en connais bien les conséquences néfastes : stress, solitude, abandons, stratégies d’évitement et assez étonnamment échecs cuisants.
Dans ce texte, je vais m’appuyer sur différentes sources pour expliquer pourquoi et comment j’ai pu au travers des années changer ma perception des exigences, pour moi et pour les autres. Développer avec le temps, une flexibilité nouvelle, qui enrichit ma vie.
Tout d’abord, est-ce que les autistes sont si perfectionnistes en général ? Selon ces sources il semblerait que ce soit un trait important pour une bonne partie de ceux-ci :
« Sérieux et souci de perfection : les Asperger sont le plus souvent perfectionnistes. Faire son travail à moitié ou s’arranger pour camoufler les imperfections de ce que l’on a fait n’est pas de leur nature. » [2].
Ce document présente ce trait comme étant un des principaux et également « positif », de ceux qu’on nommait Asperger avant (dans le DSM 4, maintenant intégré dans un spectre dit trouble du spectre de l’autisme dans le DSM 5. [3] ).
Cette affirmation selon laquelle le perfectionnisme chez les autistes (ou non-autistes) serait désirable en emploi est erronée. Je vais tenter d’en faire la courte démonstration. C’est peut-être même un des traits qui expliquerait pourquoi il est probablement plus difficile pour une personne ayant ce profil de s’intégrer en emploi.
Il faut comprendre que le marché du travail est avant tout un milieu social et de vie :
« Le travail, pour nos sociétés a beaucoup de poids [et] est un lieu important de socialisation et ceux qui en sont exclus, sont souvent perçus, malheureusement, comme privés de la socialisation […] il […] est une activité très valorisée socialement cependant, des travaux d’ethnologie et d’anthropologie font ressortir que l’importance accordée au travail dans son aspect pratique tel que décrit précédemment, est plus importante dans les sociétés industrielles que dans celles qui fonctionnent de façon traditionnelle. En effet, dans ces dernières, le travail n’est pas perçu comme un moyen de répondre à un besoin profond, plus axé sur un sentiment subjectif, mais plutôt une réponse à des contraintes extérieures […] répondre aux besoins vitaux tels que manger, avoir un logement, etc. […]. » [4]
Donc, il est important pour mieux s’intégrer à la société d’avoir un travail, c’est une façon de socialiser et c’est une source d’inquiétude pour les autistes comme le démontre ceci :
« selon une étude récente (Lorenz, Frischling, Cuadros et Heinitz, 2016), l’inquiétude entourant la socialisation au travail constitue pour les personnes (…) autistes (…) le plus courant des obstacles à l’emploi et le principal problème au travail.» [5]
Le perfectionnisme est un défaut social important qui limite la qualité de la socialisation et surtout dans le domaine du travail :
« S’il y a bien un défaut à ne pas confesser en entretien d’embauche, c’est le perfectionnisme.» [6]
« Affirmer que le perfectionnisme est notre plus grand défaut en entrevue d’embauche n’est pas aussi inoffensif qu’il n’y paraît. En effet, le perfectionnisme excessif nuirait au rendement au travail, en plus de causer des problèmes de santé et d’affecter les relations personnelles». [7]
« Contrairement à l’idée reçue, les perfectionnistes n’obtiennent pas nécessairement de meilleurs rendements au travail, affirme Gordon L. Flett, Ph. D. titulaire de la Chaire de recherche en santé et personnalité à l’Université York à Toronto » […] il poursuit ainsi […] ‘Dernièrement, M. Flett s’est intéressé plus spécifiquement à la question du perfectionnisme au travail, un phénomène qu’il dit sous-estimé. Lorsque quelqu’un m’affirme que le perfectionnisme ne nuit pas à son travail, je lui pose toujours deux questions : comment vont tes relations avec les autres et comment se porte ta santé ? Si ces gens réussissent au travail, c’est souvent au détriment de ces deux aspects. » [8]
Inversement à ce que pourrait laisser croire la documentation en lien avec l’autisme et l’emploi, comme celle-ci :

Source de l’image : autisme.qc.ca (Livret “Autisme et emploi”, 2020, p.6)
C’est aussi vrai dans les études :
« Noter les aspects des tâches et activités qui provoquent la frustration pendant l’enseignement, l’élève (…) autiste peut démontrer de la résistance et de la colère pour diverses raisons, notamment (…) la tendance au perfectionnisme.» [9]
« Ces étudiants peuvent aussi développer des problèmes d’anxiété importants qui entraînent des difficultés de concentration et de mémorisation. L’étude devient alors plus pénible et moins efficace. Devant ce calvaire, plusieurs auront tendance à remettre à plus tard leur étude et à repousser les échéances. À l’opposé, d’autres s’acharneront sans merci sur leurs études sans toutefois réussir à se concentrer adéquatement. Ils développeront parfois un problème d’anxiété aux examens qui se caractérise par des troubles de l’attention et des trous de mémoire. Ces étudiants n’arrivent plus à mettre sur papier ce qu’ils ont pourtant bien appris et obtiennent des résultats bien inférieurs à ceux qu’ils auraient pu obtenir. En résumé, lorsque les perfectionnistes prennent conscience que leurs résultats ne leur permettront pas d’accéder à leur rêve d’exceller de façon exceptionnelle, ils réagissent par un sentiment de frustration, de colère, de dépression ou de panique. » [10]
En ce qui a trait à la solitude et la vie sociale en général ; le site de la société canadienne de psychologie nous explique ceci en lien avec le perfectionnisme :
« Problèmes relationnels ; manque de compassion envers autrui et tendance à se sentir responsable de satisfaire les besoins des autres au détriment des siens, faible satisfaction conjugale, insatisfaction sexuelle et colère excessive envers autrui, isolement social, relations intimes difficiles, solitude et détresse sociale c.-à-d. être pessimiste quant aux relations futures. (…) Les gens confondent souvent le perfectionnisme avec la poursuite du succès ou le caractère consciencieux. Le perfectionnisme se distingue de ces attitudes. C’est un modèle de comportement inadéquat, qui peut entraîner un grand nombre de problèmes. La poursuite du succès ou l’attitude consciencieuse impliquent des attentes appropriées et tangibles (souvent des objectifs très difficiles, mais réalisables) et produisent un sentiment de satisfaction et une récompense. Le perfectionnisme, en revanche, est associé à des attentes et des objectifs inappropriés et non tangibles (c.-à-d. la perfection) et une insatisfaction constante, peu importe le résultat. Le perfectionnisme est une source chronique de stress, qui donne à la personne le sentiment d’être une ratée même lorsque les autres voient le contraire. Les perfectionnistes exigent d’eux-mêmes d’être parfaits. Les exigences élevées et constantes qu’ils s’imposent sont une source de stress et de pression et contribuent au développement de mécanismes d’adaptation inappropriés. » [11]
Je pense qu’on peut clairement voir pourquoi le perfectionnisme est un problème pour les personnes autistes et pourquoi on a tout avantage à améliorer cette partie de notre personnalité, comme je l’ai fait. Si cela est un de vos traits, votre caractère distinctif, ce n’est pas du tout à votre avantage. Tout ce qui a été décrit comme conséquences dans les divers liens, je l’ai vécu comme personne autiste. Ayant cru que, comme dans les documents qui nous sont présentés par les associations pour autistes, ce serait perçu comme une force socialement, dans le travail et les études, dans la vie en général. Ce ne pouvait être plus faux ! Lorsque j’ai pris conscience de mon erreur, j’ai pu analyser avec le recul, combien ma vie avait été affectée par ce manque de flexibilité concernant les exigences que j’imposais, à moi et aux autres. Je peux l’affirmer, je me reconnais dans la dernière citation, manque de compassion et tendance à se sentir responsable des besoins des autres, etc. En somme dans TOUT!
Et le pire, c’est que dans ma grande ignorance, j’ai fait subir, pendant des années, mes paniques à mes proches. Je n’arrivais jamais à atteindre le degré de perfection souhaité. À eux, je leur demande bien sincèrement pardon, je me pardonne aussi, puisqu’il est temps de passer à autre chose, d’évoluer vers plus de maturité. Et à vous, je vous explique bien humblement ce que j’ai mis en place dans ma vie pour travailler sur mon défaut. En fait ça a été à la fois simple et difficile, il a fallu apprendre le lâcher-prise et à prioriser non pas l’excellence, mais le fait de faire de son mieux avec ce que l’on a, d’ajuster mon implication à mon niveau d’énergie disponible et à me tourner vers l’optimisme. D’arrêter de juger les autres selon mes critères de performances subjectifs, en étant plus empathique à leurs réalités, en m’intéressant davantage à celles-ci. Travailler une forme de réciprocité sociale qui me faisait défaut, qui m’était étrangère parce que je considérais que l’application d’une « mécanique» précise était plus valable qu’un résultat fonctionnel, mais non parfait. Un jugement de valeur, extrêmement cruel pour l’égo, en regard aux autres et à moi-même. J’évaluais un succès non pas en fonction du fait que le résultat soit « correct », mais plutôt en regard à ses travers, à ses détails résolument imparfaits. Je ne dis pas de ne pas porter attention à ses détails, mais ceux-ci prenaient une importance démesurée par rapport aux gens.
J’étais impitoyable et par ce fait, je repoussais moult personnes ayant des capacités que je jugeais à tort inférieures, elles étaient toutes simplement différentes. Je m’impliquais dans des causes et associations qui avaient ce même point de vue, jusqu’au jour où, j’ai subi moi-même le sort de la personne jugée comme n’étant pas assez bien, n’ayant pas intégré le plus haut des concepts, comme quoi les autistes seraient résolument plus tournées vers le pragmatisme et qu’une société de gens autistes-perfectionnistes fonctionnerait sans doute mieux, que celle actuelle. Oubliant, effaçant et supprimant de ma pensée et de ma réflexion, comment cette attitude m’avait amenée à l’échec autant social que matériel. Une colère et une frustration qui me grugeaient complètement et anéantissaient à coups de masse ma motivation, me poussant encore une fois de plus à l’échec et à l’affaiblissement de ma santé mentale. Les fameuses dépressions, crises autistiques et de panique très fréquentes. Pour tout cela, encore une fois, je m’excuse aux gens que j’ai blessés et aussi je me pardonne à moi-même, je passe à l’étape suivante!
Pour terminer, comme j’aime parler en images mentales, je dirais que le degré d’exigences que vous demandez aux autres et à vous, c’est comme la force de pression qui est exercée sur le couvercle d’une/un *cocotte-minute/autocuiseur*, trop peu, vous n’aurez pas un bon résultat, trop élevé et ça va vous exploser au visage ! Prenez soin de vérifier quelle serait la bonne dose de pression (stress) qui est appropriée à vous (l’autocuiseur) et à vos besoins (ce qui serait dans l’autocuiseur). Cela implique également que ce n’est pas à vous, à mettre la pression (stress) sur les autres, puisque vous n’êtes pas l’autre (l’autocuiseur de l’autre, ne vous appartient pas) et que vous ne connaissez pas ses besoins dans la majorité des cas (ce qu’il y a à l’intérieur de l’autocuiseur de l’autre) .
Par Catherine Lilas
Sources :
[1] https://www.linkedin.com/posts/loptimisme%2Ecom_et-toi-tu-fais-quoi-dans-la-vie-extrait-activity-6845379710214541312-F2FN
[2] https://www.autisme.qc.ca/assets/files/07-boite-outils/Outils-Ressources/Guide-insertion-Emploi-Asperger.pdf
[3] https://spectredelautisme.com/trouble-du-spectre-de-l-autisme-tsa/Manuel-diagnostique-et-statistique-des-troubles-mentaux-dsm/
[4] https://www.mouvementsmq.ca/sites/default/files/6-contexte_social_msmq_0.pdf
[5] https://www.autismontario.com/fr/nouvelles/la-socialisation-au-travail
[6] https://www.marieclaire.fr/etre-perfectionniste,1268586.asp
[7] https://www.lapresse.ca/affaires/economie/emploi/201012/17/01-4353459-quand-le-perfectionnisme-nuit-au-travail.php
[8] : https://www.lapresse.ca/affaires/economie/emploi/201012/17/01-4353459-quand-le-perfectionnisme-nuit-au-travail.php
[9] https://www.edu.gov.mb.ca/m12/frpub/enfdiff/aut/docs/doc_complet.pdf p.152
[10] https://www.aide.ulaval.ca/psychologie/textes-et-outils/difficultes-frequentes/le-perfectionnisme-quand-le-mieux-devient-l-ennemi-du-bien/
[11] https://cpa.ca/fr/psychology-works-fact-sheet-perfectionism/