Autisme : besoins, discrimination, intimidations et attentes sociales. Comment tout cela est-il interrelié ?

J’ai demandé, sur Facebook et ailleurs, quels seraient les sujets les plus importants à discuter pour les personnes autistes. De nombreuses réponses me sont parvenues, mais les plus fréquentes restent en lien avec les forces et les faiblesses des autistes, mieux se connaître et surtout les choses à travailler, particulièrement en lien avec les difficultés psychosociales.

Je débuterai d’abord par ce que les parents d’autistes en pensent, puisque ce sont leurs propos qui sont le plus souvent rapportés et entendus ; j’expliquerai ensuite comment l’information ne se rend pas aux autistes, que ces derniers ont de la difficulté conséquemment à faire passer leurs messages et que tout cela est lié au phénomène d’intimidation et de discrimination envers les autistes.

Enfin sera évoqué le rapport aux attentes de la société qui ne sont pas discutées entre les autistes et les non-autistes et qui perturbe énormément les relations entre ces groupes.

Le problème du point de vue des parents

Voici comment la discrimination envers les autistes est présentée dans un article du Journal de Montréal en 2018 :

« Des parents d’enfants autistes veulent que la Commission des droits de la personne se penche sur la discrimination systémique dont ils seraient victimes en raison des difficultés qu’ils ont à obtenir les soins appropriés pour leur progéniture. (…) Ce n’est pas normal que les soins et les délais d’attente pour obtenir un diagnostic soient différents d’une région à l’autre, et même d’un enfant à l’autre. C’est de la discrimination flagrante », tranche Kathleen Salvail de la Coalition autisme Québec. (…) Bien que les problèmes soulevés par les parents (…) soient (…) du cas par cas, au cabinet de la ministre Lucie Charlebois, responsable du dossier de la réadaptation, on rappelle que 29 M$ ont été injectés pour les quatre prochaines années pour faire face à l’augmentation de la prévalence des troubles du spectre de l’autisme. » [1]

Ce que les parents dénoncent ici, les adultes autistes et les associations le dénoncent aussi, surtout dans les services aux adultes. Avoir du cas par cas ne semble pas fonctionner, puisque les personnes autistes et leurs parents ont besoin d’une certaine forme de procédure qui serait stable d’un endroit à l’autre. Bien que les individus puissent avoir des besoins différents, les divers groupes de personnes ont des points en commun, donc vont logiquement avoir des besoins globalement similaires. C’est certainement aussi le cas des autistes.

Manque d’accès à l’information et liens avec les discriminations

Certaines personnes doivent composer avec une double ou une multiple stigmatisation en raison de leur appartenance à une minorité (culturelle, religieuse, sexuelle, etc.), d’un autre état, trouble ou affection (déficience physique ou intellectuelle, trouble du spectre de l’autisme, VIH-SIDA, etc.) ou de troubles concomitants (alcoolisme, toxicomanie, dépendance, etc.) ou du fait qu’elles sont judiciarisées, en situation d’itinérance ou de pauvreté. Les expériences de stigmatisation seraient particulièrement fréquentes chez les jeunes et les jeunes adultes qui sont atteints d’un trouble mental.

Source : La lutte à la stigmatisation et à la discrimination dans le réseau de la santé et des services sociaux – Faire ensemble et autrement (gouv.qc.ca)

Dans « Adapter l’intervention de groupe aux besoins des adultes alcooliques ou toxicomanes, un défi » de Natalie Bibeau, celle-ci cite BRADY, D.E. 1989. Bien que l’autisme ne soit évidemment pas un alcoolisme ou une toxicomanie, un détail intéressant ressort :

« en effet, le travail de groupe est jugé très efficace pour surmonter la résistance, offrir l’occasion de mettre en place un réseau de soutien et un lieu servant à l’acquisition de comportements sociaux et interpersonnels plus appropriés (Brady, 1989) ». [2]

Mais voilà, on ne donne pas vraiment l’information aux personnes autistes de tous les âges concernant les points à améliorer dans leurs traits distinctifs autistiques, ni même à les expliquer si pour ceux-ci une amélioration est difficile voire impossible.

Un exemple flagrant et extrême de ce que peut être l’intimidation et la discrimination envers une personne autiste : des adolescents avaient forcé un jeune autiste à manger des excréments de chien dans un parc de Shawinigan en août dernier et poussé l’odieux jusqu’à filmer la scène et à la diffuser sur les réseaux sociaux

Article dans le Journal de Montréal Cessons d’intimider les autistes ! Par Chloé Jacob, Porte-parole ADO-SPECTRUM, mise à jour du jeudi 30 septembre 2021

D’autres exemples de discrimination et d’intimidations sont présents également dans cet ancien article : Catherine Lilas prend la parole : interprétations, communication et prendre sa place comme autiste !

Sans rien avoir de tout cela, on demande une acquisition de comportements plus adaptés, pour s’intégrer, de la même manière qu’on le suggère pour le groupe d’adulte ayant une problématique différente, mais invalidante d’un point de vue social, pour les autistes, en revanche, on ne fournit tout simplement pas les outils. Un exemple fort étonnant est dans le document sur l’intimidation fait par la Fédération québécoise de l’autisme, la partie ou l’on évoque les différences qui peuvent être à la base des attitudes intimidatrices et par le fait même discriminatoires, vu que basées sur les caractéristiques de la personne autiste : sont dirigés vers les spécialistes !

Source image : « Développer les habiletés des personnes autistes dans un contexte d’intimidation », avril 2017, page 50

Ce serait pourtant une formidable information à mettre dans une autre section ou un autre document autre que ceux réservés pour les professionnels et les parents. Les personnes autistes de tous âges ont besoin de savoir exactement ce qui dérange dans leurs comportements et les met plus à risque d’être des cibles si elles veulent pouvoir soit améliorer lesdits comportements ou les expliquer, les réexpliquer afin que les personnes non autistes puissent comprendre et éviter les jugements hâtifs !

Je pense aussi qu’on aurait tout intérêt à démontrer pourquoi on doit faire des accommodements en société, aux gens qui sont différents de nous, comment fonctionne l’exclusion et le faire à l’aide d’exemples concrets comme dans la leçon de discrimination :

Deux documents vidéo précieux, qui apportent l’éclairage nécessaire aux enfants ET aux adultes pour se questionner sur leurs comportements discriminatoires :

Ajout : La Finlande a trouvé une méthode qui marche contre le harcèlement scolaire – YouTube

Manque d’échanges entre autistes et non-autistes

Comme je l’ai dit dans mon texte sur le perfectionnisme, il serait judicieux d’éviter de faire passer certains de ses attitudes ou traits et comportements autistiques comme « désirables » s’ils ne le sont pas ou pire encore comme c’est le cas ici, les passer sous silence, aux yeux des principaux intéressés. D’un point de vue intellectuel, il manque une information sociale pour progresser. D’un point de vue social, on semble ne pas se préoccuper de transmettre les points de conflits aux autistes directement, l’échange ne se fait pas. D’un point de vue affectif, on ne semble pas comprendre à quel point cela peut être perturbant de déranger les autres et de n’avoir aucune idée clairement pourquoi. Finalement, d’un point de vue d’attentes sociales, de prise en charge par soi-même, de ses responsabilités, de l’autonomie et de la maturité, je trouve que ce manque d’information, est un peu comme le manque d’équipement pour gravir la montagne. Pour faire un lien avec mon exemple sur la maturité voir dans les liens la ressource intitulée Maturité explicatif avec pictogrammes.

Comment ne pas avoir l’air maladroit socialement si on est mal équipé et que personne ne nous l’explique ?

J’en ai eu les larmes aux yeux, de voir tous les comportements inadaptés que j’avais à l’école primaire et certains que j’ai encore, que je n’étais pas si certaine que ce fût la cause des conflits et du rejet.  Cela ne m’a pas été expliqué. De plus, j’aimerais savoir ce que signifient les points de suspension, à la fin de la liste des caractéristiques dans le document « Développer les habiletés des personnes autistes dans un contexte d’intimidation ». Quels sont les autres exemples ? Un peu plus de clarté serait appréciée !

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Nous sommes en 2021, l’article du Journal de Montréal a été écrit en 2018, le second, hier le 30 septembre 2021 et celui sur l’intimidation en 2017. Je n’ai pas vu dans la documentation des associations pour l’autisme, un rapport faisant état d’améliorations à ce sujet… Au contraire, je l’ai déjà décrit sur ce site en 2020 : l’importance de connaître tôt le diagnostic d’autisme comme dans le document des témoignages convaincants par Isabelle Amyot et Sophie Plaisance, Autisme Montérégie publié dans cet article.

Excellent texte, mais ce que je déplore, c’est que bien qu’il soit d’une fantastique pertinence, encore une fois, il aurait été judicieux de faire une étude plus poussée pour avoir des chiffres permettant d’évaluer ses affirmations. De nombreuses questions sont soulevées par le manque de celles-ci ; entre autres, qui sont les personnes autistes qui ont témoigné (je parle en termes de tranches d’âges, de démographie) ? Combien de personnes ont été interrogées et selon quelle méthode ? De quel pourcentage de l’échantillon parle-t-on lorsqu’on dit « certains » ?  Parce que si un autre organisme voulait faire le même exercice, ou si quelqu’un voulait présenter cela comme un argument en faveur des autistes et de leurs besoins, ce serait difficile d’amener la preuve comme étant un portrait fidèle à la réalité.

On ne peut être sensibilisé correctement à une réalité si on ne l’explique pas et qu’on ne la comprend pas.

« Pas parce qu’on veut que vous soyez (…) que (…) tolérants (…) On sensibilise parce qu’on essaie de vous faire comprendre que notre société est discriminatoire à l’égard des personnes autistes. (…) Et c’est la même chose à l’âge adulte. Ceux qui sont en âge d’embaucher du personnel n’ont jamais été en contact avec des personnes différentes. Alors ils sont mal à l’aise lorsqu’ils rencontrent un autiste en entrevue, même s’il est compétent. (…) Et la société se prive de leurs compétences (…). » [3]

Dès l’enfance, la société met de côté les personnes autistes par leurs différences, cela se poursuit également à l’âge adulte. Je l’ai déjà dit dans une conférence que j’ai faite à de futurs ergothérapeutes : la société peut-elle vraiment se permettre de perdre des talents ?

Pour terminer

Je sais que lorsqu’on parle accommodements, automatiquement on a un groupe, le plus souvent majoritaire, qui a l’impression qu’on va lui voler quelque chose, alors qu’en fait il s’agit de (définition du Larousse) : transaction, accord pour conclure un différend. Un compromis en somme (définition du Larousse) : action qui implique des concessions réciproques.

Mettons-nous donc à la tâche et asseyons-nous ensemble, en société, autistes et non-autistes afin de savoir quelles concessions nous pouvons faire pour atteindre le mieux vivre ensemble.

Les autistes, nous voulons nous faire entendre : depuis 3 ans, cette pétition « Speak up about the autistic right to speak /Se faire entendre : droit de parole autiste » que j’ai lancée a été vue 10 784 fois, partagée 305 fois, mais signée par seulement 1177 signataires (Octobre 2021), en très grande majorité des personnes autistes. Je pense que c’est assez démonstratif d’une grosse partie du problème. Quand je dis : « Nous avons tenté d’exprimer nos besoins, de parler de nos situations par nous-mêmes. Nous avons voulu nous exprimer sur l’inclusion et avons proposé des façons de procéder qui correspondent à nos aptitudes », c’est à cela que je fais référence.

J’ai toujours pensé qu’il faudrait, au diagnostic, remettre l’information aux personnes autistes, elles-mêmes. Qu’elles puissent en connaître davantage sur leurs besoins (les besoins généraux des autistes), les attentes de la société (s’il vous plaît, soyez clairs) et le tout dans une documentation avec des chiffres récents et d’études scientifiques, par exemple. Si on veut pouvoir permettre que les besoins des personnes autistes soient pris en compte, il faut pouvoir démontrer hors de tout doute (surtout aux gouvernements), de quoi ils sont globalement faits et par la suite, comment y répondre, pour satisfaire ses fameux besoins.

La société devra s’ajuster et permettre les accommodements, ces accommodements pourront et devront être ajustés des deux côtés, MAIS toujours en prenant en compte les capacités de part et d’autre également.

J’ai bon espoir pour la suite des choses, comme le dit Lucila Guerrero, artiste autiste dans Lundi, je vais être Luka (en citation sur la page d’accueil de Perceptions Autistes) :

« Je garde l’espoir que notre société deviendra de plus en plus sensible et tolérante aux différences. » (p. 107) Tiré de Lundi, je vais être Luka, éditions Bayard.

Je noterais ici que l’aspect le plus important c’est la sensibilité : comme dans sensibilisation : j’espère avec ce long texte avoir pu quand même susciter votre attention, votre intérêt et vous rendre réceptifs au message, ce serait une avancée profitable pour tous !  

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[1] AXEL MARCHAND-LAMOTHE Des parents d’autistes évoquent la discrimination Plainte à la Commission des droits de la personne en vue samedi, 14 avril 2018 23:15 MISE À JOUR Samedi, 14 avril 2018 23:28

[2] Adapter l’intervention de groupe aux besoins des adultes alcooliques ou toxicomanes, un défi Natalie Bibeau Groupes – Symposium 1997 Volume 46, numéro 2-3, 1997 https://www.erudit.org/fr/revues/ss/1997-v46-n2-3-ss3525/706770ar.pdf­

[3] La discrimination de la société envers les autistes, par Les Collabos 29 avril 2021 http://enfantsdifferentsbesoinsdifferents.com/blog/la-discrimination-de-la-societe-envers-les-autistes/

Catherine Lilas

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